Est-ce qu’un événement culturel devient plus engageant ou attractif s’il est "dog-friendly" ?

... Ou quand notre chien nous emmène voir une expo

En juin 2025, Nice accueille la troisième conférence des Nations Unies sur les océans (UNOC) :  un événement géopolitique majeur doublé d’un vaste programme culturel et artistique. Dans ce contexte, l’art sort des murs : il s’expose sur les façades, le mobilier urbain et les lieux emblématiques, tels que la Promenade des Anglais. 

 

Mais qui en profite vraiment ? Parmi les nombreux passants, touristes ou locaux, une figure inattendue émerge comme déclencheur de la déambulation urbaine : le chien. Oui, vous avez bien lu !

Ce compagnon de promenade impose des rythmes différents, pousse à explorer, et ouvre un accès affectif à la ville et aux oeuvres en plein air. Cet espace devient à la fois terrain d’exploration canine, galerie à ciel ouvert et théâtre de sociabilités hybrides.

Le chien comme vecteur de déplacement

En consultant le site de la Biennale des Arts et des Océans de la Ville de Nice, j’ai été frappée par le faible nombre d’expositions accessibles aux chiens. Et pour cause : Tous les musées de Nice excluent les chiens, sauf parfois portés aux bras où dans un petit sac (et donc, sont uniquement accessibles aux petits chiens). À première vue, ça peut sembler anecdotique. Mais cette recherche m’a fait prendre conscience d’un changement plus profond dans ma manière de concevoir les sorties culturelles : pas sans mon chien, comme dirait l’association Culture de Wouf. Aujourd’hui, je ne me demande plus seulement où aller, mais où aller avec mon chien. Ou plutôt, avec Noly, la corgi de mon copain, co-pilote de nos balades urbaines. 

Noly, évidemment, ne comprend rien à l’art, à l’Année de la Mer ni à l’engagement écologique des installations. Mais paradoxalement, c’est elle qui m’y a conduite. Sans elle, je ne me serais peut-être pas penchée sur les parcours en extérieur et j’aurais sans doute priorisé les visites dans les musées. Noly agit donc comme un déclencheur, un vecteur de déplacement qui oriente nos choix de lieux et d’horaires (nous n’allions certainement pas sortir à l’heure la plus chaude de la journée, pour lui épargner les brûlures des coussinets…).

En ce sens, le chien modifie non seulement l’accès à la culture, mais aussi les critères de sélection des événements culturels que nous souhaitons visiter. Ce qui aurait pu être une exposition admirée par simple curiosité devient une balade sensorielle à quatre (le chien, l’art, moi et mon copain). Juste un moment de présence à ce qui nous entoure, rendu possible par la laisse au bout de nos mains.

Ainsi, Noly ne nous a pas seulement accompagnés dans cette balade culturelle : elle l’a rendue possible, en quelque sorte.

La réappropriation des œuvres urbaines par l'humain et son chien (photos, mises en scène, narration)

Je ne me prends jamais en photo devant les œuvres d’art. Je prends Noly en photo devant elles. Comme si l’œuvre ne méritait d’être prise en photo que si elle entrait en résonance avec quelque chose de personnel. Noly devient alors sujet, tandis que l’œuvre se transforme en décor valorisant. Ce n’est plus l’art pour l’art : c’est l’art pour Noly !

On peut y voir une forme de réappropriation affective et esthétique. Noly, c’est un peu l’enfant dont on est fier, qu’on met en scène, qu’on cadre, qu’on veut voir rayonner dans un contexte choisi. Ici : le sommet des océans. Et soudain, la sculpture n’est plus un objet à contempler mais un arrière-plan qui sublime la figure centrale : le corgi. Vous pensez que j’exagère, et c’est peut-être le cas. Mais avec Noly, ce n’est pas moi, ce n’est pas l’oeuvre que je mets en valeur : c’est elle, et à travers elle, notre relation, notre moment partagé, notre façon de traverser la ville ensemble et d’en garder un souvenir, qu’elle habitera pour toujours.
C’est aussi une façon douce de dé-hiérarchiser l’art : on n’est pas dans un musée silencieux, fermé. Mais dans l’espace urbain, vivant, imparfait, ouvert, traversé par les gens, les chiens et les bruits de la ville. Ces photos ne sont peut-être que les souvenirs d’une balade canine. Mais elles sont aussi, sans le vouloir peut-être, des mini-performances : des scènes où le spectateur devient acteur, où l’art est recadré par la présence animale, où l’œuvre perd son intouchabilité pour devenir un terrain d’expression sensible. 

 

Chien, art & sociabilité

L’espace où se déploient les œuvres devient aussi un théâtre de sociabilités hybrides, où humains et chiens cohabitent, interagissent, s’observent. Les chiens peuvent se croiser, se renifler devant : notre regard s’en détourne alors pour se poser sur eux. Ils s’approchent, se flairent, jouent, aboient, se tournent autour sans se soucier de l’art.

Ce glissement du regard est révélateur : la scène vivante créée par les chiens devient plus captivante que l’œuvre figée. Ce ne sont plus les artistes qui rythment l’expérience, mais les chiens eux-mêmes, dans leurs interactions spontanées.
Le lieu d’exposition se transforme alors en espace relationnel : on peut discuter avec d’autres propriétaires de chiens, échanger des sourires, commenter les réactions de nos compagnons qui se reniflent l’arrière-train. Tout cela fait partie de l’expérience : le chien ne vient pas troubler la contemplation esthétique, il la redéfinit, en réinjectant du vivant, de la banalité, dans l’environnement artistique.

Une esthétique canine de l'ordinaire

 

Promener son chien, c’est un geste banal. C’est ce que tous les propriétaires de chiens ont l’habitude de faire quotidiennement, plusieurs fois par jours en fonction des besoins de leur chien et de leur temps. Pourtant, à l’occasion d’une exposition en plein air comme celle qui a lieu en ce moment à Nice, ce quotidien devient un véritable parcours artistique urbain.
Ce n’est pas l’art qu’on est allé chercher, mais c’est lui qui s’est invité dans la routine. En effet, les oeuvres exposées dans la ville de Nice ont été disposées dans des endoits que nous traversons presque quotidiennement : La Coulée Verte, la Promenade des Anglais, l’avenue Jean Médecin. Et parce qu’on est déjà dans une disposition sensible (on observe, on marche, on s’ajuste au rythme du chien), on est plus perméable à la beauté artistique : une œuvre au coin d’un mur (je pense aux sublimations des installations électriques sur le thème de la mer par ArtMor1 qui parsème l’avenue Jean Médecin), une sculpture qu’on n’aurait pas remarquée si on passait en voiture…

 

Noly est lente. Très lente. C’est un corgi. Les propriétaires de corgi savent bien de quoi je veux parler. Noly ne regarde pas l’art, elle n’en a aucune conscience. Elle le contourne, elle le sent, elle se roule dans l’herbe devant, elle fait pipi sur le coin de mur à côté (on espère que non, mais restons lucides). Bref, le chien nous force à ralentir, et ce n’est pas plus mal.
Le chien, lors des balades, nous oblige à nous arrêter dans des lieux parfois inattendus. À nous détourner d’un trajet rectiligne. Ce n’est pas un trajet d’un point A à un point B, c’est une fluctuation de passages de A à Z en passant par B, D, G, F… Et ce ralentissement, ce pas de côté, nous permet de voir autrement, de remarquer un détail, une texture, une couleur qu’on aurait peut-être ignorée sans notre chien. L’art dans la ville se mélange au mobilier, à la lumière, à l’odeur des embruns ou à une touffe d’herbe. Et grâce au chien, l’ordinaire devient visible.

Conclusion

 

A la question : “Est-ce qu’un événement devient plus engageant ou attractif s’il est « dog-friendly ? », pour les propriétaires de chiens qui ont à coeur de tout faire avec leur chien, c’est indéniablement le cas. Quand on partage sa vie avec un animal, chaque sortie implique une organisation. Pouvoir l’inclure dans une activité culturelle ou urbaine allège cette contrainte mais surtout, donne un sens nouveau à la sortie. Elle devient un moment partagé, un temps de qualité à trois (humain, chien, espace), où chacun peut y trouver son compte.

Un événement artistique dog-friendly, notamment en extérieur, peut être vu comme une porte ouverte à une autre manière de vivre l’espace public avec son chien, et pas juste en le tolérant. C’est aussi un positionnement politique sur l’accessibilité des pratiques culturelles. Pour les propriétaires de chiens qui ne veulent plus avoir à choisir entre leur animal et leur vie sociale ou culturelle, ces espaces inclusifs sont bien plus que pratiques : ils sont désirables, fédérateurs, vivants, et on les choisit parfois en priorité. 

Le flâneur du XXIe siècle ne marche donc plus seul. Désormais, il est tiré par une laisse, et c’est peut-être tant mieux. Car ce lien ténu, ce fil entre l’humain et l’animal, nous ancre dans une autre manière de vivre la ville, notamment à Nice en cette Biennale des Arts et des Océans. Une manière moins pressée, moins utilitaire, plus disponible à ce qui se donne à voir (ou à flairer !).

Ce modeste écrit vous invitera, je l’espère, à voir vos balades canines autrement : comme autant de petites performances quotidiennes, où le chien devient à la fois guide, sujet et muse.

Étiquettes :

Les commentaires sont fermés.